CARNET D'UN DISPARU
(Zapisnik Zmizeleho) Le texte Les poèmes sur lesquels Leoš Janáček compose son Carnet d’un disparu paraissent en 1916 dans le journal tchèque Lidvé Noviny. Présentés de façon anonyme, une note qui les accompagne attribue leur composition à un jeune morave : celui-ci raconte, avant de quitter la maison de ses parents, une histoire d’amour authentique. La structure cyclique de ces poèmes fait écho au style des chansons-ballades populaires ; ils livrent l’histoire d’une passion à l’horizon de laquelle se profile un conflit entre deux mondes, celui de la morale paysanne traditionnelle, et la séduisante liberté de la vie des Tziganes. Le dénouement de ce conflit s’apparente à la logique implacable propre à la tragédie grecque, et c’est précisément le sens du devoir qui conduit le jeune homme à rompre avec son monde pour prendre le risque d’embrasser la liberté du peuple nomade. La langue Comme le rappelle Milan Kundera, une des innovations de Janáček réside dans « une revalorisation du mot chanté, ce qui veut dire in concreto du mot tchèque, incompréhensible dans quatre-vingt-dix-neuf pour cent des théâtres du monde. (…) Ces opéras sont le plus bel hommage jamais rendu à la langue tchèque. Hommage ? Oui. En forme de sacrifice. Il a immolé sa musique universelle à une langue quasi inconnue. » Que dire alors des poèmes de Carnet d’un disparu qui sont écrits dans un dialecte de la Valachie morave ? Ce choix d’un matériau verbal populaire établit une certaine proximité entre la démarche créatrice de Janáček et la réalité du langage parlé. Les traitements rythmiques qu’il explore révèlent alors la sémantique des intonations du langage parlé. Pour résoudre au mieux cette problématique linguistique du Carnet d’un disparu, le spectacle fait entendre, dans un premier temps, une traduction en français du texte interprétée par un comédien et une comédienne. Après ce prologue qui permet de rendre accessible le sens des poèmes, ceux-ci deviennent chants et sont livrés dans leur dimension musicale. La musique Cette œuvre pour ténor, alto, tois voix de femmes et piano propose une musique qui fait l’économie de tout ce qui relève de la simple technique : transitions, développements, mécaniques du remplissage et de l’orchestration. Dans le même morceau, dans le même mouvement, la structure musicale confronte ainsi sans décorum des séquences formelles et émotionnelles qui s’opposent les unes aux autres. Ces voisinages contradictoires créent des tensions qui ouvrent des espaces dramatiques dans la musique de Janáček : en ce sens, la partition génère elle-même des moments qui peuvent être qualifiés de théâtre musical. |