ALFRED, ALFRED Sept scènes et six intermèdes Les Soirées chaudes de Strasbourg, 24 Septembre 1998 Hélène Jarry, L'Humanité Très court, très léger, très drôle, le livret de "Alfred, Alfred" de Franco Donatoni. En effet, on voit, en sept brèves scènes alternées avec six intermèdes, le compositeur lui-même subir ou observer, depuis un lit de malade dressé sur le théâtre, diverses situations cocasses ou absurdes que toute expérience hospitalière fait authentifier. Grand mangeur devant l’Eternel, Franco Donatoni expose, dans un film vidéo projeté en hors-d’éuvre, la recette des pâtes à la carbonara et ses problèmes de diabète, avec, en ponctuation, des "tableaux vivants" dont "Alfred, Alfred", cette fois sur scène et non plus sur écran, constitue peut-être l’ultime. Tout est fait pour qu’on en rit. Des malades couchés dans des draps immaculés se redressent à la voix d’une infirmière soprano-chef, l’un embouche un basson, l’autre un cor au sortir du sommeil, ils parodient Wagner ou Vivaldi. Un ensemble instrumental placé là, un peu comme l’orchestre de Count Basie dans un paysage de western à la Mel Brooks, prête son concours habile, essentiellement basé sur des gammes astucieusement décalées. S’il s’agissait de juger une partition, on dirait "très doué, mais ne s’est pas foulé". Or, il s’agit d’autre chose, de tout autre chose même que d’un spectacle comique. C’est un acte de compositeur qui choisit de se mettre en scène, la chose n’est pas courante, dans l’une des situations les moins valorisantes de la condition humaine. Qui sait ce que sont les deux jambes maladroites d’une vieille personne essayant de se redresser sur le bord d’un lit de malade comprendra ce dont il est question. Un artiste reconnu choisit donc de ne pas jeter le voile sur la maladie qui l’angoisse, mais la met en musique, avec beaucoup d’humour certes et en égratignant au passage l’opéra et les chanteurs auxquels il fait vocaliser à pleins poumons : "Il ne restait plus de lait, mais j’ai apporté du poisson frit ; ça va ?" Et il est présent, pour chaque représentation, muet et exposé au fond de son lit. "Tu n’a aucun sens des responsabilités ?" dit l’un des personnages, et Donatoni de répondre dans sa conclusion par trois points de suspension qu’explicitait une instrumentation typique des danses macabres. André Wilms a su inventer une mise en scène qui laisse exactement au spectateur le temps et l’espace pour s’engouffrer dans le double sens de cette tragédie comique. |